3/ Trois voeux
Il m’est arrivé hier matin la plus improbable des histoires. Je marchais, comme à mon habitude, sur la plage encore mouillée de rosée, blanchie de l’écume d’un Pacifique mystérieux et envoûtant que j’ai le bonheur d’observer, chaque jour, depuis plus de quarante ans. Je connais ce bout de plage, chaque centimètre carré de gazon qui surplombe l’océan par coeur et si chaque aube et chaque crépuscule m’émerveillent encore j’avoue ne plus être très surprise par l’immensité du spectacle quotidien dont je me délecte.
Or, hier matin, alors que je rentrais de la plage par Marine Street, arrivée à hauteur des piscines naturelles que forme la marée dans la roche, je vis, à quelques pas, flottant étrangement, une bouteille de plastique vert à l’intérieur de laquelle semblait s’agiter quelque chose que je n’arrivais pas à distinguer. Ma première réaction fut de penser qu’un poisson avait dû entrer dans la bouteille et qu’il était coincé à l’intérieur. Mon bon coeur me dit de libérer l’animal, assurément affolé, à l’agonie et de lui rendre sa liberté et sa vie.
Mais en m’approchant, je vis que la bouteille était fermée par un bouchon. Intriguée par le « quelque chose » s’agitant vigoureusement à l’intérieur je me dis que cela ne me regardait probablement pas et je fis un pas en arrière lorsqu’une grosse voix m’interpella :
« - Eh bien bravo, dit la voix, et maintenant, tu comptes vraiment partir ?
Je restais interdite, comme pétrifiée par une situation dont j’ai immédiatement pressenti qu’elle n’était pas tout à fait normale. « Tu rêves ma pauvre fille » me dis-je en moi-même et, avant même que j’aie eu le temps d’en finir avec ma pensée, voilà que la bouteille se remit à parler.
Enfin Vee, tu as toujours prétendu croire aux êtres d’ailleurs. Me voici. Je suis un génie. Un génie dans une bouteille et je suis là pour toi.
Comment ?, me dis-je en moi-même (oui, dans les situations qui sortent du commun, j’entretiens avec moi-même de longues discussions !), la bouteille connait mon nom …. ???
Allons ! N’aies pas peur Vee. Prends donc cette bouteille et ouvre-là. Je suis là pour toi. »
J’observais qu’il n’y ait personne autour de moi, ce qui, à cette heure de la journée est rarement le cas et, n’étant pas seule, je décidais de m’approcher, l’air de rien, de la bouteille qui commençait à attirer l’attention des passants.
« - C’est la mienne, dis-je tout en me retournant, un large sourire rivé au visage. Elle m’a échappé des mains et a roulé jusque dans cette … mare … ah !!! je ne suis pas douée, me sentis-je obligée de rajouter comme pour donner plus de poids à ma version des faits.
Un vieil homme ricana. Chacun retourna à ses occupations. La bouteille de plastique vert gigotait entre mes doigts alors, portant ma main à hauteur d’yeux je vis une sorte de visage bleu me dévisager et j’entendis une voix chaude mais déterminée me commander,
Bon, tu l’ouvres cette bout… aïe, aïe, … non, mais c’est pas vrai ! Tu ne peux pas faire un peu attention !!! Vee, quand même … fais un effe… aïe !!! bon sang que ça fait mal. »
Effrayée, j’avais laissé tomber la bouteille qui roulait vers les mares salées serties de roches ocres et pain brûlé. J’hésitais … tournais les talons, puis la tête. La curiosité était trop forte. Je revins sur mes pas et, déterminée à ne pas me laissée impressionner, j’attrapais la bouteille d’un geste brusque et la fourrais au fond de mon ToteBag sans la regarder.
J’accélère le pas. Arrive devant mon immeuble. Appelle l’ascenseur pendant que dans mon sac j’ai l’impression de transporter trois kilos de pois sauteurs du Mexique. Je détache les clés que je porte toujours à la ceinture et, décidée à faire face à cette situation extra-ordinaire jette sur mon lit d’un même élan mon grand sac et mon courage accompagné d’un « A nous deux bouteille » aux airs d’un cri de guerre qui aurait fait pâlir Braveheart en personne.
Je pris la bouteille, le goulot à droite et, regardant « la chose parlante » qui l’habitait droit dans les yeux assénais :
« - Okay. J’ouvre la bouteille et te fais confiance. Tu ne me feras pas de mal, n’est-ce pas ?
Les deux plus gentils yeux du monde se jetèrent dans les miens et, oscillant de droite à gauche, confirmèrent que je ne risquais rien. Je dévissais le bouchon et sortis de la bouteille une sorte de vapeur informe et bavarde du plus beau camaïeu de bleu qu’il m’ait jamais été donné de voir.
Les deux plus gentils yeux du monde se jetèrent dans les miens et, oscillant de droite à gauche, confirmèrent que je ne risquais rien. Je dévissais le bouchon et sortis de la bouteille une sorte de vapeur informe et bavarde du plus beau camaïeu de bleu qu’il m’ait jamais été donné de voir.
Je suis ton génie Vee et j’ai trois voeux à t’offrir. Et, comme je suis ton génie, comme toi, je suis contestataire et un peu militant et du coup, un seul des trois voeux est pour toi. L’un s’adresse à quelqu’un que tu détestes et l’autre à l’humanité. Je t’écoute.
Mais …
Non, Vee. Ni mais, ni réflexion, ni mot inutile. Réfléchis et parle ensuite. Tu dois faire tes voeux maintenant. Et dans l’ordre. Je t’écoute. Quel est ton premier voeu ?
J’avais entendu parler de génies, un peu taquins, qui s’amusant de la surprise des humains abusent les gens qui épuisent leurs voeux en parlant trop. Avertie, … je me mordais la langue et réfléchissais.
Mon premier voeu, dis-je enfin, celui qui m’est destiné, ajoutais-je par précaution est, où que je sois, qui que je sois, de bénéficier des enseignements de toutes mes vies passées.
Mon second voeu est pour tous ceux que je n’aime pas : j’aimerais qu’ils soient pénétrés d’une conscience d’amour, de respect, de tolérance et de générosité.
Mon troisième voeu, pour l’humanité est que chacun ait, au cours de son existence humaine, l’occasion de vivre dans la forme d’un minéral, d’une plante et d’un animal pendant sept jours et sept nuits, et de ne pas l’oublier. »
Mon second voeu est pour tous ceux que je n’aime pas : j’aimerais qu’ils soient pénétrés d’une conscience d’amour, de respect, de tolérance et de générosité.
Mon troisième voeu, pour l’humanité est que chacun ait, au cours de son existence humaine, l’occasion de vivre dans la forme d’un minéral, d’une plante et d’un animal pendant sept jours et sept nuits, et de ne pas l’oublier. »
Et ce matin, rocher sur ma plage de Californie, j’en prends plein la tronche ….
« - Ca change le paysage vu d’ici dis donc. Je me demande si je vais passer mes sept jours ici ? Oh, la la … ça va être long. Je parle toujours trop vite …. Meeeerrrrrde !!!!! J’ai même pas posé de jour de congé moi …! »